Immunosurveillance par NKG2D et pronostic des cancers du foie

17/03/2021

Des travaux menés par Jean-Pierre Couty (Equipe « Proliferation Stress and Liver Physiopathology » au CRC) et récemment publiés dans Journal of Hepatology  montrent que l’activation du système NKG2D d’immunosurveillance des tumeurs est associé à un mauvais pronostic dans les cancers du foie, contrairement à d’autres types de tumeurs. Cet effet paradoxal pourrait être dû à l’inflammation chronique générée par des vagues successives de destruction des cellules tumorales dans le foie.

Certaines populations de cellules immunitaires présentent à leur surface des récepteurs capables d’effectuer une surveillance active des cellules exprimant des ligands spécifiques. Ces couples récepteurs/ligands forment ce qu’on appelle des mécanismes d’immunosurveillance qui, lorsqu’ils sont actifs et efficaces, reconnaissent les cellules tumorales exprimant les ligands et les détruisent. Cependant, les cellules tumorales ont la capacité de corrompre ces mécanismes afin d’échapper à ces systèmes d’immunosurveillance.

Mathilde Cadoux, sous la direction de Jean-Pierre Couty, a étudié, chez l’Homme et la souris, le mécanisme d’immunosurveillance qui implique le récepteur NKG2D et ses ligands, MICA, MICB, et ULBP1et 2, dans le cas spécifique du carcinome hépatocellulaire ou cancer du foie. Le récepteur NKG2D, localisé à la surface des cellules immunitaires, est capable de reconnaitre ses ligands situés à la surface des cellules tumorales. La fixation du ligand sur son récepteur aboutit généralement à la destruction de la cellule tumorale.

Le carcinome hépatocellulaire (CHC) étant une tumeur grave pour laquelle les options thérapeutiques demeurent limitées, les chercheurs se sont intéressés au système d’immuno-surveillance NKG2D dans un grand nombre d’hépatocarcinomes humains. Ils ont en particulier analysé la présence des ligands du récepteur NKG2D à la surface des cellules tumorales.

De façon surprenante, les résultats obtenus indiquent que la présence des ligands MICA, MICB, et ULBP1/2, donc l’activation du système d’immunosurveillance, est en fait associée à une forte agressivité des tumeurs conduisant à un mauvais pronostic pour les patients. Par ailleurs, les chercheurs ont observé que l’expression des ligands ULBP1/2 est diminuée chez certains patients dont le niveau inflammatoire est plus bas et le pronostic meilleur, notamment dans un sous-groupe d’hépatocarcinomes humains présentant une activation oncogénique de la signalisation Wnt/beta-caténine. En effet, les CHC  présentant des mutations activatrices de la signalisation Wnt/beta-caténine (mutation dans le gène CTNNB1) sont peu inflammatoires et de meilleure pronostic.

Ces travaux illustrent donc que dans le CHC, l’expression des ligands de NKG2D est associée à l’agressivité tumorale et qu’au contraire leur diminution est indicatrice d’un meilleur pronostic.

Les chercheurs ont répété ce type d’analyses dans des modèles de souris récapitulant les principaux groupes d’hépatocarcinomes humains. Dans ce cas, ils ont observé que l’expression transcriptionnelle des équivalents des ligands ULBP1/2 chez la souris est également contrôlée négativement par la β-caténine. De plus, l’expression du récepteur NKG2D (KLRK1 chez la souris) et du ligand ULPB1 est associée à la présence de cellules inflammatoires dans les CHC.

L’ensemble de ces résultats démontre que l’expression des ligands du système d’immunosurveillance NKG2D est associée à l’agressivité tumorale et que leur diminution par l’activation oncogénique de la β-caténine permettrait d’expliquer en partie le phénotype peu inflammatoire ainsi que le meilleur pronostic de ce groupe de CHC.

En conclusion, ces résultats montrent que l’activation du système d’immunosurveillance NKG2D est associée à un mauvais pronostic dans les cancers du foie, contrairement à d’autres types de tumeurs. Cet effet paradoxal pourrait être dû à l’inflammation chronique générée par des vagues successives de destruction des cellules tumorales dans le foie.

Sous un angle translationnel, ces résultats permettent d’envisager à plus long terme de nouvelles pistes thérapeutiques qui cibleraient ce système d’immunosurveillance.

Publié dans Journal of Hepatology du 21 janvier 2021 : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0168827821000283

Brève publiée sur le site de l’Inserm le 9 février 2021 : http://www.idf.inserm.fr/actualites/l-expression-des-ligands-nkg2d-une-mesure-de-l-agressivite-du-cancer-du-foie