En médecine, un train peut en cacher deux autres

14/11/2022

L’équipe de Gilles Crambert et Pascal Houillier, Renal Physiology and tubulopathies, a récemment publié dans JASN une histoire singulière, révélant une chaine de causalité inédite dans une pathologie rénale inhabituelle, et permettant de proposer un traitement adapté.

L’histoire est celle d’un patient admis à l’hôpital en raison d’une tétanie sévère avec insuffisance rénale. Les examens montrent une perte massive et sélective de calcium et de magnésium dans les urines, évocatrice du syndrome d’hypomagnésémie familiale, une maladie génétique de transmission autosomique récessive. Elle est provoquée par des mutations des gènes codant pour les protéines Claudine 16 ou Claudine 19, CLDN16 ou CLDN19, protéines de jonctions serrées spécifiquement exprimées dans un segment particulier du tubule rénal, la branche large ascendante de l’anse de Henle.

Cependant, certains éléments du tableau semblent incohérents avec l’existence de ce syndrome. L’hypomagnésémie familiale se révèle habituellement dans l’enfance, or le patient est âgé de 70 ans. De plus, des analyses réalisées 2 ans auparavant n’indiquaient pas de perte de calcium et magnésium dans les urines ; enfin, les gènes CLDN16 et CLDN19 étaient parfaitement normaux.

Les chercheurs ont donc fait l’hypothèse d’une « phénocopie » de l’hypomagnésémie familiale, c’est-à-dire d’une maladie présentant les mêmes signes que cette maladie, mais liée à une cause acquise plutôt que génétique. Une série d’expériences in vitro et in vivo chez le rongeur a permis de montrer que le plasma du patient contenait effectivement un titre élevé d’anticorps anti Claudine 16 et que ces anticorps étaient pathogènes chez le rongeur.

La présence d’un auto anticorps anti-Claudin 16 dans le sérum du patient est montré par le marquage des jonctions serrées (en vert) au niveau de l’anse de Henle (marquage rouge).

Un traitement associant un immunosuppresseur, le Rituximab, et des échanges plasmatiques pour éliminer les anticorps pathogènes circulants a permis d’obtenir une amélioration de la fonction rénale et du syndrome de perte rénale de calcium.

Cependant, plusieurs mois après cet épisode, l’état général du patient s’est de nouveau altéré, avec dégradation de la fonction rénale et aggravation de la perte de calcium et magnésium dans les urines.  Une nouvelle tomodensitométrie abdominale révèle alors une tumeur rénale volumineuse, peu différenciée mais exprimant intensément le gène CLDN16. L’ablation du rein tumoral permet de stabiliser la fonction rénale et de normaliser la concentration plasmatique de magnésium.

Conclusion : la pathologie initialement identifiée, « phénocopie » de l’hypomagnésésie familiale, ne faisait que révéler une autre pathologie pas encore détectée, la tumeur rénale.

Ainsi, derrière un syndrome mimant une maladie génétique, on peut trouver un auto anticorps (1ère pathologie cachée), et derrière l’expression d’un autoanticorps, on peut découvrir une tumeur (2ème pathologie cachée) qui exprime une protéine de manière immunisante, ici la Claudine 16.

L’organisme ne se met pas à fabriquer un autoanticorps par hasard : chercher la protéine immunisante peut conduire à découvrir un cancer.

Hypomagnesemia, Hypocalcemia, and Tubulointerstitial Nephropathy Caused by Claudin-16 Autoantibodies. Figueres L, Bruneau S, Prot-Bertoye C, Brideau G, Néel M, Griveau C, Cheval L, Bignon Y, Dimitrov J, Dejoie T, Ville S, Kandel-Aznar C, Moreau A, Houillier P, Fakhouri F. J Am Soc Nephrol. 2022 Jul;33(7):1402-1410. doi: 10.1681/ASN.2022010060

Contact 

Pascal Houillier, directeur adjoint de l’équipe Renal Physiology and tubulopathies